Le design graphique fait tellement partie de notre quotidien qu’il est difficile de s’imaginer un monde qui en serait dépourvu. Et d’une certaine manière, cela n’a rien de nouveau : la communication visuelle est aussi vieille que l’humanité, bien qu’il ait fallu attendre quelques années avant d’arriver à l’ère des tablettes et autres outils numériques… En d’autres termes, l’histoire du design graphique remonte à très loin, et constitue un puits d’inspiration immense pour tout graphiste des temps modernes.
Pour commencer, savoir où, pourquoi et comment cette discipline est née aidera les designers à comprendre leur place dans l’histoire. D’un point de vue plus pragmatique, les tendances sont cycliques, et étudier le passé peut s’avérer être une excellente source d’inspiration pour innover dans le présent. Dans cet article, nous allons retracer l’histoire du design depuis la période préindustrielle jusqu’à maintenant. Avec un peu de chance, l’histoire se souviendra peut-être même de vous ! Pour davantage d’information sur les principes du design graphique, consultez cet article.

- Avant l’imprimerie : de la préhistoire à la Renaissance
- La naissance du design graphique : Renaissance et industrialisation
- Le design graphique de l’époque moderne
- L’ère du numérique
- Une histoire sans fin
Avant l’imprimerie : de la préhistoire à la renaissance
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Le design graphique défini comme tel n’a vraiment commencé qu’en 1440, après l’invention de l’imprimerie. Mais les origines de la communication visuelle remontent à bien plus loin que cela, au temps des hommes des cavernes, c’est-à-dire à le préhistoire. Dans ce chapitre, nous passerons en revue les événements qui ont contribué à l’avènement du design graphique avant même que le monde ne sache de quoi il s’agissait.
Art pariétal ~ 38 000 av J.-C.
Il semblerait que les hommes aient toujours eu un penchant pour l’art, et les évidences de cela sont visibles sur les grottes préhistoriques où l’on peut voir les peintures qui ont été réalisées par nos très lointains ancêtres. Il s’agit de représentations d’animaux, de mains ou encore de scènes de chasse. On en a trouvé partout sur la planète (Australie, Espagne, Indonésie, France, Argentine, etc.). Les historiens essaient encore de se mettre d’accord sur les détails, et de comprendre à qui étaient destinées ces peintures (à leurs semblables ou à leurs dieux). Mais tout le monde s’accorde à dire que l’humanité entretient une relation très spéciale avec la communication visuelle depuis son commencement.

Langue écrite sumérienne – de 3 300 à 3 000 av. J.-C.

Tandis que vous lisez cet article, il est facile d’oublier que ce que vous faites, concrètement, c’est interpréter une multitude de petits signes constituants l’alphabet latin. Il est facile d’oublier que l’alphabet est une invention de l’homme. D’après ce que l’on sait, les Sumériens ont créé l’une des toutes premières langues écrites, probablement dans le but de faire des inventaires dans le cadre du commerce (et s’assurer ainsi que personne ne volait de marchandise).
Ces langues très anciennes étaient iconographiques, c’est-à-dire que chaque icône représentait un mot tout entier plutôt qu’un son. Ce qui suggère une capacité naturelle de l’homme à se servir des représentations visuelles pour exprimer des concepts parfois complexes, ce qui est l’un des piliers du design graphique que nous connaissons aujourd’hui. Peu de choses ont changé au cours des derniers millénaires : les graphistes se basent toujours sur des icônes (menu hamburgers, loupe pour la barre de recherche, etc.) pour représenter des mots et des concepts tout entiers, dans un espace très limité.
Imprimerie chinoise – de 200 à 1040 apr. J.-C.

La Chine possède la plupart des records en ce qui concerne les découvertes en matière d’imprimerie, y compris la fabrication de papier sans papyrus, l’impression sur bois et les caractères amovibles (qui sont tous apparus bien avant que ce que vous pourriez penser).
Déjà en 200 apr. J.-C. on utilisait en Chine des morceaux de bois en relief pour imprimer et tamponner des designs sur des habits en soie, puis sur du papier. En 1040, Bi Sheng inventa la première presse à caractères amovibles au monde, fabriquée en porcelaine, soit 400 ans avant que Gutenberg n’ait fait une découverte similaire en Europe.
Calligraphie médiévale — 700 apr. J.-C.
La typographie commence à émerger au Moyen-Âge tandis que l’humanité commence à étendre ses horizons esthétiques au monde de la lettre et des mots. Parce que les textes étaient à l’époque produits et reproduits à la main, les originalités artistiques permettaient d’ajouter de la valeur à l’œuvre et de se démarquer des autres. Dans les cultures islamiques, la typographie était bien évidemment centrale étant donné que l’art figuratif était perçu comme un sacrilège. La typographie était donc l’une des seules formes d’expression artistique autorisées.


Héraldique européenne – ~1100
Techniquement, le premier logo au monde était un écusson, un symbole utilisé pour représenter une famille ou un territoire. Les érudits ont théorisé la pratique, laquelle s’est popularisée au cours des Croisades, où il était utile d’identifier ses ennemis comme ses alliés grâce aux écussons apposés sur les armures et les drapeaux de chacun, alors que des soldats venus de tous horizons se mélangeaient.
Tout comme pour les logos, les écussons représentaient les valeurs, les caractéristiques et le style des personnes qu’ils illustraient. Plus tard, on a diversifié l’utilisation de ces emblèmes et on les retrouve par exemple sur les sceaux de cire attestant de l’authenticité d’un document.
Devantures de magasins – 1389

Au 14e siècle, la bière était une alternative viable sinon préférable à l’eau, étant donné que la plupart des sources d’eau étaient polluées. Le roi Richard II d’Angleterre a même passé une loi forçant toutes les brasseries à signaler leur présence à l’aide d’un panneau sur rue, afin que tout le monde puisse les trouver sans problème.
Non seulement il s’agissait là des premiers panneaux représentant des entreprises à voir le jour, mais ce fut également le début d’une superbe tradition qui a perduré jusqu’à aujourd’hui.
La naissance du design graphique : Renaissance et industrialisation
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Avec l’arrivée de l’imprimerie en Europe, l’humanité était désormais capable de reproduire des textes, des œuvres d’art et de design, à grande échelle et pour relativement peu cher. Il n’a pas fallu beaucoup de temps aux ancêtres des entreprises comme nous les connaissons aujourd’hui pour comprendre que de telles images pourraient influencer le comportement des consommateurs et augmenter leur profit. Le design graphique était né.

L’imprimerie de Gutenberg — 1439
Johannes Gutenberg a introduit les caractères amovibles en Europe en 1439, laissant ainsi la place à la communication de masse dans les cultures occidentales et changeant ainsi notre civilisation à jamais. Avec cette nouvelle technique d’impression, plus besoin d’attendre que les érudits aient terminé de reproduire tel ou tel livre, la littérature est devenu tout à coup accessible à tous. L’imprimerie de Gutenberg a ainsi ouvert la voie à une utilisation plus commerciale du design, amorçant ainsi le design graphique comme nous le connaissons aujourd’hui.

Premiers logos — fin des années 1400
C’est l’imprimerie qui a utilisé en premier les logos, bien que cela se soit limité à une simple marque apposée sur les documents produits par la maison en question. L’intérêt n’était pas seulement de se faire connaître, mais aussi de montrer ses talents en tant qu’imprimeur : la qualité d’impression du logo reflétait la qualité d’impression de la maison.

Premières publicités imprimées — années 1620
L’imprimerie a permis de faire naître le « coranto », précurseur du journal. Et au début des années 1600, ces corantos comprenaient les toutes premières publicités imprimées.
(À vrai dire, les premières publicités écrites remontent à l’Égypte antique, mais c’est au 17e siècle que l’on voit apparaître les premières images publicitaires produites en masse.)
Chromolithographie – 1837


Les avancées technologiques continuent de faire évoluer le design graphique, comme la capacité d’imprimer en couleur ou chromolithographie. Si cette technique fut d’abord utilisée pour recréer les peintures, elle a par la suite ouvert de nouveaux horizons à la publicité.
Les marques sont désormais capables d’utiliser de nombreux outils avec lesquels nous sommes familiers de nos jours, comme les palettes de couleurs et la connexion émotionnelle établie en faisant référence à une scène du quotidien. Avant cela, les visuels n’étaient que des images limitées par les techniques de l’époque et la priorité était à la lisibilité plutôt qu’à l’expression de concepts complexes. Mais la chromolithographie a bouleversé tout cela en permettant un certain degré de réalisme, donnant ainsi à la publicité la possibilité de capitaliser sur les modèles séduisants et tendances de l’époque, notamment grâce à la couleur.
Le design graphique de l’époque moderne
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Le design graphique tel que nous le connaissons aujourd’hui a réellement commencé à se développer à l’époque moderne, soit à partir de la fin du 19e siècle jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale. Si au 19e siècle l’accent était mis sur les avancées technologiques et les nouvelles possibilités, l’époque moderne s’est concentrée sur l’exploitation artistique de ces nouvelles techniques.
L’imprimerie est devenue banale et la concurrence nourrit l’innovation ainsi que les mouvements artistiques et graphiques qui vont explorer de nouveaux styles et techniques qui se traduiront rapidement en branding et publicité.
La Wiener Werkstätte (première agence de design graphique) – 1903
Avec de plus en plus d’entreprises louant les bénéfices du design graphique, ce n’était qu’une question de temps avant que la première agence voit le jour. Et l’honneur est revenu à la Wiener Werkstätte autrichienne, une organisation qui a contribué à la naissance du design ainsi que de nombreuses entreprises.

Traduit simplement par « l’atelier autrichien », la Wiener Werkstätte a été l’une des premières organisations réunissant des artistes de tous bords, y compris des peintres, des architectes, et les tout premiers graphistes. L’histoire était née et le Werkstätte a ouvert la voie à d’autres agences collaboratives qui ont ensuite vu le jour.
Le plus grand héritage de cet atelier réside peut-être dans son innovation stylistique, comme le cubisme. En tant que groupe d’artistes professionnels, l’atelier a eu une grande influence sur les standards de design qui étaient en train de s’établir et qui ont donné le ton aux générations d’artistes qui ont suivi, surtout ceux d’après la Première Guerre mondiale. Le travail de la Wiener Werkstätte est précurseur du célèbre Bauhaus et du style Art déco qui ont suivi.
Staatliches Bauhaus – 1919

Le Staatliches Bauhaus, ou tout simplement « Bauhaus« a continué dans la lancée de la Wiener Werkstätte, dès son ouverture en Allemagne en 1919. Ses membres avaient de grandes ambitions : créer un Gesamtkunstwerk, c’est-à-dire un idéal artistique qui comprendrait ou synthétiserait les formes artistiques existantes en une seule œuvre parfaite. Le plus intéressant dans cette histoire, c’est qu’ils ont réussi : le Bauhaus est devenu l’une des forces centrales pour la démocratisation du style moderne.
Apparition du terme « design graphique » – 1922

Dans son article « New Kind of Printing Calls for New Design » (une nouvelle technique d’impression appelle un nouveau genre de design), publié dans le Boston Evening transcrit le 29 août 1922, le designer William Addison Dwiggins utilise pour la première fois le terme « design graphique » pour décrire son rôle dans la structuration et la gestion des visuels des livres. Jusque là, les graphistes avaient toujours eu beaucoup de mal à expliquer au commun des mortels en quoi consistait leur métier, exactement.
Paul Rand publie Thoughts on Design – 1947
Avec un pied dans le modernisme et l’autre dans le post-modernisme, le très célèbre designer Paul Rand a participé à faire du design graphique ce qu’il est aujourd’hui. Il publie ses théories et idéologies dans Thoughts on Design, qui a largement influencé l’industrie du design tout entière.

Son livre explique avec candeur sa philosophie en matière de design, celle qui l’a notamment guidée durant toute la seconde moitié du 20e siècle, soit « la perfection fonctionnelle-esthétique ». Il s’agit de trouver l’équilibre parfait entre un design esthétiquement beau, mais qui sait également communiquer efficacement le message qu’il contient, comme c’est le cas des logos de Ford, Westinghouse, Yale, ABC, UPS, et IBM.
L’ère du numérique
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À partir des années 50, le monde a doucement évolué vers l’ère numérique que nous connaissons aujourd’hui. L’adoption massive des ordinateurs rappelle l’invention de l’imprimerie en termes d’avancées technologiques, indiquant un nouvel âge de la communication de masse et le développement de nouveaux styles et méthodes artistiques.

À lui seul, Adobe Photoshop (paru pour la première fois en 1990) a changé la face du design graphique. L’édition de photos a créé une nouvelle catégorie de design tout entière, mélangeant les photographies, l’illustration et le CGI (computer-generated imagery – les partisans du Gesamtkunstwerk auraient été fiers).
On voit également le branding évoluer en parallèle, pour rester à la page. On peut notamment remercier MTV, puisque l’entreprise a su proposer de multiples versions de son logo tout en en conservant les caractéristiques principales reconnaissables de tous.

Lorsqu’Internet s’est répandu au début du millénaire, les designers se sont inspirés de MTV et ont adopté un style jeune et décalé de sorte à attirer la jeune génération dans le monde du web. On peut voir cela dans les styles comme le flat design, qui comprend des couleurs vives et des personnages rappelant les dessins animés.

Une histoire sans fin
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Voilà où nous en sommes désormais. Mais le mystère perdure : quel est l’avenir du design graphique ?
Le développement de la communication visuelle des grottes préhistoriques à l’ère du numérique peut servir d’inspiration, mais le futur n’appartient qu’à vous, que vous fassiez partie de la prochaine génération de designers ou de clients. Bien que le métier ne soit pas toujours simple avec ses nuits entières de travail, ses retours pas toujours plaisants, et de nombreuses heures passées devant l’écran, le prochain Bauhaus ou Thoughts on Design est peut-être tout près d’arriver.